À Marseille, deux dentistes jugés pour des mutilations sur 322 patients
Publié : 28 février 2022 à 11h12 par Arnaud Laurenti
Le principal accusé s'est constitué un patrimoine immobilier de 9,5 millions d'euros en quelques années. Il a également fait l'acquisition d'un yacht.
Il promettait un "sourire de star" : un dentiste comparait lundi à Marseille, accusé de s'être frauduleusement enrichi, avec son père, sur le dos de la sécurité sociale en pratiquant des opérations médicalement injustifiées et bâclées qui ont mutilé des centaines de patients.
Lionel Guedj, 41 ans, sera jugé avec Carnot Guedj, 70 ans, également dentiste, ainsi que leurs deux sociétés en tant que personnes morales, pour "violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente" et "escroquerie".
Les deux hommes, aussi poursuivis pour "usage" et "complicité" de "faux en écriture privée" encourent 10 ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, une somme qui pourrait monter à près de deux millions d'euros pour leurs sociétés, sans compter l'indemnisation des nombreuses victimes.
De nombreuses victimes
Abcès, douleurs, infections à répétition, bouche noire, mauvaise haleine, prothèses qui ne tiennent pas : dix ans après les faits incriminés - de 2009 à 2012 -, beaucoup d'anciens patients subissent encore des troubles, témoigne Marc-André Ceccaldi, avocat de plusieurs plaignants.
"85% des victimes sont des gens modestes souvent bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC): Lionel Guedj leur promettait un sourire de star, aujourd'hui, on parle de +sourire Guedj+ pour évoquer des dents amochées", dit-il.
"Mon client va s'efforcer de démontrer que, s'il y a eu sans doute des négligences ou des imprudences, il n'a jamais eu la volonté de nuire", explique Frédéric Monneret, avocat de Lionel Guedj. Son client, dit-il, est "ravi de pouvoir enfin s'expliquer" mais "stressé par les enjeux du procès".
Au total, 322 anciens patients se sont constitués partie civile, au côté de la Caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône, de cinq mutuelles et du Conseil national et départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes.
Ce procès hors norme se tiendra jusqu'au 8 avril dans une salle de 400 places spécialement aménagée dans une ancienne caserne.
Radios falsifiées
L'affaire débute en 2009 par une enquête du contrôle médical de la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône après les signalements d'une assurance sur des facturations douteuses de prothèses, et d'assurés sociaux sur des "abus de soins".
Une plainte de la CPAM13 qui revendique un préjudice de près de 1,7 million d'euros est déposée en 2011. Une information judiciaire est ouverte en 2012. Mis en examen, les deux hommes sont laissés en liberté sous contrôle judiciaire. Ils ont été interdits d'exercer par l'ordre des dentistes.
Les conclusions de l'enquête administrative, étayées par plusieurs expertises et l'audition de 170 patients, décrivent un système organisé visant à réaliser "un maximum de prothèses dentaires, bénéficiant de la liberté tarifaire". Selon plusieurs témoins, "le tandem père-fils était clairement dirigé par Lionel Guedj".
"La première consultation se soldait systématiquement par un programme massif de travaux impliquant de dévitaliser et de couronner un maximum de dents", constate le rapport évoquant "de fortes présomptions de dégradations volontaires de dents saines".
"Vous veniez pour deux caries et vous repartiez avec toutes les dents dévitalisées", a témoigné durant l'enquête l'assistante dentaire, Nadia Omar.
Lionel Guedj facturait 28 fois plus de couronnes que la moyenne de ses confrères, a comptabilisé une dentiste conseil de l'Assurance maladie. En 2010, il était en tête des dentistes en France avec un chiffre d'affaire de 2,6 millions d'euros, contre une moyenne départementale de 180 000 euros.
L'homme s'est constitué en quelques années un patrimoine immobilier de 9,5 millions d'euros, possédait des voitures de luxe, un yacht de 15 mètres.
Devant les enquêteurs, Lionel Guedj a justifié sa réussite par des horaires de travail importants et une célérité exceptionnelle.
Mais pour la sécurité sociale, pour arriver à de tels résultats dans une activité normale aurait demandé 52 heures de travail par jour. Le docteur Guedj a rogné sur la qualité des soins réalisant par exemple "la pose de prothèse dentaire définitive, sans aucun essayage" alors cet acte nécessite pas moins de cinq étapes".
La justice reproche également aux dentistes la disparition ou la falsification de radios pour tenter de dissimuler de faux diagnostics.
(avec AFP)