Bretagne : quand un ver marin soigne un grand brûlé du CHU de Nantes

19 janvier 2024 à 12h28 par Marie Piriou

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Franck Zal est docteur en biologie marine, il est à la tête de la société Hemarina basée dans le Finistère à Morlaix. Il est notamment connu pour avoir révolutionné le monde de la médecine avec un ver marin. Nous l’avons rencontré.

Franck Zal, fondateur de la société Hemarina.

Crédit : Alouette DR

"Un trésor sous le sable". C’est le nom d’un livre sorti ce jeudi 18 janvier et qui raconte l’épopée personnelle et professionnelle de Franck Zal, docteur en biologie marine à la tête de la société Hemarina, basée à Morlaix.


Franck Zal a révolutionné le monde de la médecine avec un ver marin, en cultivant son hémoglobine, ce qui a permis de transplanter des organes ou encore de soigner des grands brûlés. Entretien.


 


Vous avez sorti un livre cette semaine aux éditions Les Arènes. Que raconte cet ouvrage sur vous et vos travaux ?


Ce livre retrace ma vie. Enfant, jusqu’à ma mission de devenir entrepreneur, chercheur, etc. C’est un parcours de vie et c’est vraiment une épopée. Donc ça raconte toute cette aventure avec ses hauts et ses bas. Mais c’est vraiment une vision humaine et humaniste que j’ai voulu mettre sur le papier, pour dire pourquoi j’ai fait ça, quel était le contexte, pourquoi des gens ont essayé de nous bloquer, pourquoi des gens ont essayé de nous aider.


 


Ce livre s'intitule "Un trésor sous le sable". Pourquoi ce titre ?


Un trésor sous le sable, vous l’avez compris, c’est pour le buzuk qui est un ver marin très abondant sur les plages bretonnes, également entre la mer du Nord et Biarritz. Dans ce ver marin, on a trouvé une hémoglobine extracellulaire qui est l’ancêtre de nos globules rouges et qui permet de faire énormément de choses en médecine, comme la transplantation d’organes. Récemment on a soigné un patient qui était un grand brûlé. Donc, en fait, c’est d’apporter de l’oxygène mais d’un point de vue physiologique aux cellules, aux tissus, aux organes ou à un organisme dans sa totalité pour lui permettre de vivre. Et vous savez, comme moi, que l’oxygène est un gaz indispensable à la vie.


 


Hemarina s'est vu décerner le Prix Galien 2023 dans la catégorie Dispositif médical pour son innovation HEMO2life…


Un prix fait toujours plaisir, parce que c’est une sorte de marqueur d’étape. Celui-là était vraiment dans un endroit solennel, au Val-de-Grâce, remis par des pairs dans le domaine de la pharmaceutique. C’est une sorte de prix Nobel décerné à une innovation majeure. Donc on l’a reçu avec énormément de plaisir. Ça nous a fait repenser à toutes celles et ceux qui nous ont aidé sur ce chemin, jusqu’à ce jour qui était extrêmement important pour nous. C’est aussi un marqueur d’étape pour nous faire savoir que nous sommes sur le bon chemin.


 


L'une de vos innovations, un pansement conçu à partir de l'hémoglobine de ver marin, a été utilisée dernièrement pour soigner un grand brûlé du CHU de Nantes qui était entre la vie et la mort. Ce pansement lui a sauvé la vie ?


Oui. Alors bien-sûr il n’y avait pas que ce pansement, il y avait toute une équipe médicale derrière. Mais quand on voit le résultat, les dernières photos, je n’aime pas le mot "magie" ou "miraculeux" parce que c’est de la science, mais sur le torse et le dos, ce patient n’a pas du tout de traces, ou très peu. Ce patient est sorti de l’hôpital au bout de 3 mois, alors que d’habitude c’est au bout de 9 mois, 12 mois, 18 mois, voire plus. Ce qui était hyper important pour nous, c’est de participer à ça. D’aider, encore une fois, parce que ma vie a toujours été d’aider les autres, et surtout d’apporter cette technologie. Je peux vous dire qu’il y a eu une mobilisation générale de toutes les personnes d’Hemarina, c’est vraiment toute une chaîne de solidarité qui s’est mise en place derrière ce patient parce qu’on voulait vraiment qu’il s’en sorte.


 


En plus de ces pansements innovants, qu'en est-il de vos travaux, aujourd'hui ?


On développe d’autres applications. Donc HEMO2life pour la greffe d’organes, HEMHealing pour la cicatrisation des plaies assez difficiles à cicatriser, on développe aussi d’autres produits dans le domaine dentaire avec la Faculté de Strasbourg. On a aussi de très bons résultats sur le traitement de la drépanocytose qui est une maladie du sang, d’origine génétique et qui va donner des globules rouges qui ont une forme particulière. Cette pathologie crée des crises occlusives, donc on est obligé d’exsanguiner les patients. On a montré, en fait, qu’on réversait ces crises occlusives.


 


Le premier chirurgien à avoir réalisé une greffe totale du visage avec HEMO2life a dit de votre dispositif médical que c'est une découverte comparable à celle de la pénicilline. Qu'est-ce que ça vous fait d'être comparé à Alexander Fleming ? C'est plutôt flatteur ?


Bien sûr. Au-delà de ça, quand Fleming a découvert cela dans un vulgaire champignon, on ne l’a pas vraiment pris au sérieux. Pourtant il avait raison. Un champignon a permis de faire les premiers antibiotiques. Il a fallu quasiment 20 ans de développement et la Seconde Guerre mondiale pour tester son innovation, alors qu’il avait raison 20 ans auparavant. C’est pareil de notre côté avec l’hémoglobine d’Arénicole. J’en suis persuadé et beaucoup de médecins le sont également. C’est une rupture technologique majeure dans le traitement des patients dans la médecine. On a atteint quelque chose extrêmement important pour la vie humaine, c’est l’oxygénation. Il y a deux choses qui sont importantes dans la vie : manger et respirer. Vous pouvez arrêter de manger pendant quelque temps mais vous ne pouvez pas arrêter de respirer.


 


Que peut-on vous souhaiter, pour conclure, en cette année 2024 ? Quelles sont vos ambitions cette année ?


Continuer ce développement. J’ai été tellement étonné de l’accueil des autorités indiennes quand je suis allé à Delhi dans le sud de l’Inde. En quelques minutes, j’ai vu le conseiller Santé du Premier ministre Modi qui m’a dit : "On connaît votre technologie, on vous veut en Inde !". En un temps record, j’ai enregistré une entreprise là-bas. On attend désormais les autorisations pour commercialiser notre produit là-bas. Ça va très vite ! Pourquoi ça ne se passe pas comme ça dans notre pays, en France ? Alors que notre pays a besoin d’énergies, d’efficacité et de compétitivité. Donc ça me pèse beaucoup. Ce que j’aimerais en 2024, c’est vraiment qu’on puisse avoir des réunions constructives avec les autorités de santé et les autorités réglementaires. On n’est pas des ennemis, on travaille pour le bien commun et surtout pour la santé des Français.


 


Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac