Céline Forte : "Une section féminine au Limoges CSP, j'en rêve"
Publié : 8 mars 2022 à 7h00 par Thierry Matonnat
Céline Forte est devenue la première femme à la tête d'une équipe de sport professionnel masculin en France. Une fonction qu'elle n'imaginait pas occuper. Après presque trois années à la présidence du directoire du Limoges CSP, elle nous parle de son expérience, de ses souvenirs et de ses envies...
Crédit : Limoges CSP
Fin 2018, un an après la disparition de Frédéric Forte qui occupait le fauteuil de président du Limoges CSP, son ex-compagne, Céline Forte, décide de reprendre la présidence du mythique club de basket Limougeaud. Elle prend les rênes du directoire le 18 mai 2019. Une fonction qu'elle assume depuis avec passion et conviction. À l'occasion de la journée internationale du droit des femmes, nous lui avons demandé comment elle vivait cette nouvelle expérience.
"J'ai dû m'adapter"
Quel regard portez-vous sur votre parcours et votre carrière de femme sportive ? Est-ce difficile ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de carrière parce que ce n’était pas mon but principal. Difficile oui, parce que j’ai dû m’adapter. Dans mon parcours, j’ai connu Fred à 15 ans. Lui était en devenir en tant que basketteur pro. Et comme on avait compris qu’on ferait notre vie ensemble, je l’ai suivi partout où il est passé. J’avais déjà une carrière de basketteuse au CBC à Caen en N3, où on a été champion de France, puis après championne de France et puis après on est monté en N2. Là Fred était déjà parti à Limoges mais je ne l’ai pas suivi tout de suite, pour jouer ma "carrière" en N2. J'ai fini par le rejoindre et j'ai dû effectivement m'adapter à tous les clubs que j’ai pu faire.
C’était un choix de vie. Donc est-ce qu’on peut parler de difficulté ? On va parler d’adaptation. Après, j’ai eu la chance qu’il ait fait des clubs où il y avait des clubs féminins à côté qui avaient un bon niveau et où je pouvais m’exprimer, donc ça n’a pas posé de souci particulier. Mais effectivement j’ai dû m’adapter.
"Ce n'était pas une ambition"
Aviez-vous songé à devenir un jour présidente d'un club pro ?
Ah pas du tout ! Aucune ambition de devenir présidente d’un club pro. Ce sont les circonstances qui ont fait que je le suis devenue, il y a 3 ans. Après, c’était un projet commun. J’ai été aux côtés de Fred dans tout son parcours de joueur pro, de président, d’entraîneur même à un moment donné. Donc j’étais là, j’étais à côté de lui, c’était un projet commun. Mais devenir présidente à mon tour, ce sont juste les circonstances qui ont fait que ça s'est réalisé. Ce fut violent au départ parce que ce n’était pas une ambition et parce que les circonstances ont fait que ça a été violent pour tout le monde. En revanche, ce fut une évidence à un moment donné. Donc je n’ai pas réfléchi, je me suis lancée dans l’aventure. Ce n’est pas facile tous les jours, mais ça va, on mène la barque comme il se doit.
Considérez-vous que le fait d'être une femme constitue un handicap ou un atout dans un milieu "très masculin" comme le basket ?
Je dirais que mon expérience fait que c’est plus facile pour moi. Souvent, j’imagine d’autres femmes à ma place qui dans les circonstances auraient dû faire ce que je fais aujourd’hui sans expérience, ça me parait très très compliqué. En revanche, mon expérience dans le basket, en tant que joueuse, en tant que femme de joueur, en tant que femme de président, c’est plus facile pour moi en fait. C’est que le langage, les vestiaires, les coulisses, je les connais par cœur. Ça m’est très familier et c’est là ma force je dirais ou ce qui m’aide le plus au quotidien. C’est qu’on ne me raconte pas des histoires.
"Je ne veux pas qu'on me considère comme une femme"
Quel regard de femme portez-vous sur ce milieu ?
Regard de femme non parce je ne me considère pas comme femme et je ne veux pas qu’on me considère comme une femme parmi un milieu d’homme parce qu’effectivement, c’est encore un milieu très masculin le basket pro et tous les autres sports. On rencontre encore beaucoup d’hommes et peu de femmes, la mixité n’est pas encore trop là. Donc j’estime que je ne parle pas à un homme et il ne parle pas à une femme. On parle d’égal à égal. On parle de sport, de basket en particulier. Je les connais, ils me connaissent donc je n’ai pas de regard particulier sur le domaine masculin. C’est plus de compétence à compétence quand on se parle en fait.
"Respect"
Est-ce que le fait d'être une femme change votre relation avec le staff et les joueurs ?
Au sein du CSP, je ne suis entourée que d’hommes. Je n’ai pas envie de parler de bienveillance parce que je n’ai pas envie d’avoir de la bienveillance dans leurs yeux. Il y a un énorme respect, vraiment. Je n’ai jamais connu de circonstances, ou d’actes, ou de gestes ou de dires qui m’ont mise mal à l’aise. Pas du tout. Il y a un énorme respect. Les hommes qui m’entourent sont très respectueux. J’ai même une petite anecdote : l’année dernière, quand ça ne se passait pas trop bien sur le terrain, je suis rentrée dans les vestiaires en tant que présidente pour avoir leur ressenti et savoir pourquoi ça n’allait pas. Et j’ai vu un Nico Lang qui continuait à se déshabiller et se mettre en caleçon. Et je me suis dit, l’homme qui est devant moi, il ne fait pas la différence : il voit la présidente. Ça m’a fait beaucoup rire dans mon fort intérieur mais ça m’a aussi interpellée. Je ne suis pas féministe, mais je me suis dit jusqu’où va-t-il aller ? Et c’est Angiolina (ma fille) en lui racontant qui m’a dit : "Maman, il n’a pas fait de différence en fait". Et je me suis dit, c’est bien, on n’est pas dans la différence en fait. Respect.
"Le basket féminin au CSP, j'en rêve"
Avez-vous des projets pour développer le basket féminin à Limoges ?
Il y a un objectif dans ce sens. Le basket féminin, j’en rêve. Le LABC, c’est en fait ma deuxième maison. Donc, un rapprochement oui, mais vous en aurez des nouvelles très vite. On travaille là-dessus pour réintégrer une section féminine au Limoges CSP. Ça serait une belle histoire. Elles jouent aux Sœurs de la rivière, c’était le premier gymnase où le Limoges CSP a joué. Elles continuent à y jouer et j’ai joué dedans, je trouve que ça serait une belle histoire.
Quelle est votre meilleure expérience en tant que femme ?
Il y a en a plusieurs. Mais c’est au LABC, cette année où nous sommes montées. Le coach c’était Abdou N’Diaye, avec une superbe équipe de copines, d’amies. On monte en Ligue Féminine. Et en fait, je joue jusqu’à 3 mois de grossesse. Fred et les joueurs du Limoges CSP étaient dans les tribunes. Ils savaient tous que j’étais enceinte et ils avaient tous peur pour mon ventre et Fred le premier. Je ne sais pas si c’est une expérience mais c’est une anecdote qui me tient à cœur et c’est un super souvenir.
Que pensez-vous de cette journée internationale du droit des femmes ?
En fait, j’ai envie de vous dire qu’elle ne devrait pas exister. Est-ce que l’on parle d’un droit des hommes ? Vous voyez ce que je veux dire. Malheureusement, elle ne devrait pas exister et pourtant il faut qu’elle existe pour qu’on en prenne conscience. C’est dommage que ça existe mais il faut qu’elle existe parce qu’on est encore dans cet état d’esprit où on se doit de prouver qu’on a des droits. Donc autant en parler le plus possible.