Mathilde Moreau : "Il faut que les gens sortent de chez eux, coupent la télévision, viennent dans les théâtres"

Publié : 8 mars 2022 à 8h05 par Alexandrine Douet

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La dynamique Mathilde Moreau est ce qu’ on appelle une "self-made woman". Elle est à la tête de la Compagnie du Café-Théâtre, qu'elle a fondée il y a plus de vingt ans à Nantes.

Mathilde Moreau, fondatrice et directrice de la Compagnie du Café-Théâtre à Nantes

Crédit : DR

« Quand ça va se savoir, ils vont tous vouloir venir jouer chez toi ! » lui avait lancé le comédien Sellig au tout début. Il avait raison. Aujourd’hui, les humoristes se bousculent pour venir jouer dans ce théâtre à taille humaine installé à proximité du Château des Ducs, dans un ancien couvent du XVIIème siècle. Le lieu accueille aussi bien les plus grands noms de l’humour que les talents en devenir. La Compagnie du Café-Théâtre, c’est en effet également une école du rire qui compte plus de 300 élèves et onze professeurs.


Quand et comment le théâtre est arrivé dans votre vie ?


Je devais avoir 12-13 ans quand je prenais des cours de théâtre. Aujourd’hui, j’ai 45 ans. C’était une autre époque. Ce qui me plaisait, c’était le fait d’être en troupe, de travailler des textes, de s’amuser. C’était vraiment un loisir au départ. À l’âge de 20 ans, quand j’ai fondé la compagnie, j’étais plus sur une optique d’amusement que de carrière.Créer sa compagnie, ouvrir son propre théâtre, ce n’est pas si simple que ça ?


À l’époque, j’avais beaucoup d’amies qui étaient étudiantes... Elles me disaient « Mathilde, tu passes tous tes week-ends à retaper, à faire de la peinture, à faire des décors... » J’avais de l’aide mais je pense qu’à ce moment-là j’étais insouciante. C’était sûrement une façon de m’évader aussi. Je ne rentrais pas dans les clous en fait.


J’ai repris mes études plus tard, à 24 ans. J’ai eu mon bac : un bac littéraire avec option grec et théâtre. Puis j’ai eu envie de monter mon théâtre dans une dimension de loisir et de bien-être. Je n’avais pas eu une bonne expérience des cours de théâtre. Mon objectif était de dire aux élèves : "Vous allez avoir un endroit où vous allez pouvoir jouer, vous exprimer, vous libérer. "Vous avez fondé la Compagnie du Café-Théâtre en 1998 ?


Exactement...Ohlala, ça date ! En vrai, j’ai même commencé en 1996 mais l’association est née en 1998, précisément le 23 octobre 1998. Ça commence à dater.Est-ce que c’est plus simple ou plus compliqué de créer ce type de structures à Paris qu’en "régions" ?


Franchement, je ne pense pas qu’il y ait une différence entre la province et Paris. Moi je suis nantaise. Si j’avais été parisienne, je l’aurais fait à Paris.


Après, c’est une question de volonté, pas de moyens parce que moi à l’époque je n’en avais absolument pas ! Moi je n’avais rien, pas de projecteur, pas d’électricité... Je ne vais pas faire ma Cosette mais je n’avais rien. J’avais récupéré des palettes de vins pour faire une scène. C’était assez rock’n roll. Il y a eu le travail, l’énergie et puis la chance. Je suis tombée sur les bonnes personnes qui m’ont accompagnée.


Le lieu, c’est le hasard de la vie qui a fait que je me suis retrouvée impasse Saint-Laurent pour aller voir s’il y avait des locaux qui appartenaient à l’évêché – à l’époque je ne savais pas où aller – et je suis tombée sur la bonne personne à ce moment-là, qui m’a donné les clés en me disant « c’est pour vous ». Je me suis retrouvée dans ce lieu qui est l’ancien couvert des Carmélites. C’était une chance complètement dingue. C’était un mercredi. J’ai été portée par le vent, c’était une belle journée et j’avais une bonne étoile au-dessus de moi. Je pense que ça aurait pu arriver dans n’importe quelle ville de France finalement.Et l’histoire est drôle parce qu’on passe d’un couvent à un théâtre ?


Pour la petite histoire, j’étais chez les "Sœurs" au Lycée Blanche-de-Castille. En partant je me suis dit, « c’est fini, maintenant j’ai mon bac. ». Je ne regrette rien, j’y ai passé de supers années. Mais je quitte cet établissement pour rejoindre un ancien couvent et y installer un théâtre. L’histoire est quand même marrante.Au départ, le théâtre avait pour vocation d’accueillir des personnes souhaitant apprendre le théâtre mais pas forcément de devenir une scène accueillant des humoristes de renom...


Au départ, c’est une école du rire avec une quinzaine d’élèves, puis une vingtaine, une trentaine. Aujourd’hui, on a plus de 300 élèves et onze profs. J’ai toujours gardé cette idée de donner la chance aux amateurs qui dont du talent. Quand j’ai monté l’école du rire, c’était d’abord de me dire que je ferai toujours de l’humour, toute ma vie, que ce serait mon credo. L'idée était de donner aux élèves la chance de beaucoup jouer. C’est comme ça que l’aventure a démarré.La marraine de votre lieu est Anne Roumanoff.


Oui, elle est la marraine de la Compagnie depuis 2002 ou 2001. C’est vraiment une rencontre. C’est devenu une amie. Aujourd’hui, on est très proches. C’est une artiste que j’admirais quand j’avais 15-16 ans. C’est une grande artiste, grande humoriste, super auteure. Elle a un œil très affûté sur l’humour, la mise en scène et le spectacle en général. On est toujours resté en lien depuis plus de vingt ans maintenant.Au fil des années, après la création de l’école, le théâtre a commencé à accueillir des humoristes professionnels et le bouche-à-oreille a fonctionné petit à petit...


Je m’en souviendrai toute ma vie. Parmi les premiers artistes, il y a eu Anthony Kavanagh. Et le tout premier, c’était même Sellig. C’est gravé à jamais. C’est un artiste que j’adore. Il m’avait dit « quand ça va se savoir, ils vont tous vouloir venir jouer chez toi ! ». Ça a été tellement rapide... Il y a eu Anthony Kavanagh, évidemment Anne Roumanoff, Jamel... On a eu la "naissance" de Kev’ Adams à la Compagnie. Il a fait sa première scène à 16 ans ici.


Ensuite, il y a eu Elisabeth Buffet, Patrick Timsit, François-Xavier Demaison, La Bajon... Dans les nouveaux noms, on a Laura Felpin qui est venu récemment, dont on va beaucoup entendre parler. Après des Mathieu Madénian... Je pense qu’ils sont tous passés par la Compagnie !Et les artistes sont fidèles... Kev Adams notamment revient à la Compagnie avec un spectacle en résidence.


Ça va faire 10-11 ans qu’on se connaît. Il est toujours venu créer ses spectacles ici. Il vient travailler durant deux jours (NDLR : les 8 et 9 mars, le spectacle se joue à guichets fermés). On a tout vendu en quelques heures. Ce qui est génial, c’est que le public de Kev était au départ un public d’ados. Le public a grandi avec lui. Aujourd’hui ce sont des 25-30 ans qui viennent le voir.La place des femmes dans le théâtre... Est-ce qu’il y a beaucoup de femmes à la direction de théâtres en France ?


Non, pas tant que ça. J’ai eu l’occasion de faire pas mal de réunions, de faire pas mal de visios avec des directeurs de théâtres durant la période difficile qu’on a vécue. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup plus de directeurs de théâtres que de directrices. Moi, je pousse les femmes à prendre la direction des théâtres.Est-ce que c’est toujours un peu la même chose ? Nous les femmes, quand on a une vie familiale, on peut avoir du mal à vouloir prendre des responsabilités.


Moi j’ai une vie à côté. J’ai des enfants. C’est vrai que ce n'est pas toujours simple mais ça se fait. Aujourd’hui, on a la chance d’avoir le droit, d’être totalement libre, de dire « j’existe aussi professionnellement en tant que directrice de théâtre, de présidente de l’association, l’école du rire est une association ». On a le pouvoir de dire oui ou de dire non.


Il y a beaucoup de femmes qui n’osent pas s’affirmer professionnellement. Mais en fait, il faut y aller. En parlant des métiers du spectacle, on trouve aujourd’hui de plus en plus de régisseuses. Nous, on fait travailler autant de régisseurs que de régisseuses. Elles ont peut-être encore plus de sensibilité artistique. Ça ne veut pas dire que les hommes n'ont pas de sensibilité. Mais en tout cas, c’est différent. Donc il y a des comédiennes, des techniciennes, des directrices de théâtres.


C’est vrai qu’on a tendance à mettre à la billetterie des femmes, des hommes à la direction des théâtres. C’est bien aussi de mettre des hommes à la billetterie et des femmes à la direction des lieux.Vous êtes une passionnée. On se souvient de vos prises de paroles durant la crise sanitaire pour défendre le monde du spectacle, mis de côté pendant cette période.


C’est vrai que ça a été une période difficile. On va payer encore un petit peu. C’est très dur aussi pour les artistes. Nous, dans les théâtres, on a été aidé. Ça, on ne peut pas le nier. On n’a pu garder nos salariés. Mais il y a des artistes qui vont disparaître.


J’ai vu des artistes qui avant le Covid, remplissaient leur salle. On n’a pas entendu parler d’eux pendant deux ans et demi. Entre temps, on a remboursé le public. La date est toujours calée et reportée. Le soir du spectacle, on n’a plus du tout le même nombre de spectateurs dans la salle. Il y a des artistes qui ont été oubliés. Tout le monde n’a pas pu faire des vidéos sur les réseaux sociaux.


Il y a beaucoup de comédiens qui sont de vrais comédiens faits pour le spectacle vivant. On nous a demandé de nous réinventer. Je faisais partie de ces gens qui étaient contre le fait de monter des plateaux d’humour captés et de les balancer sur les réseaux sociaux. Ça a permis à des artistes de vivre, mais moi je ne suis pas d’accord avec ça. Je trouve que le spectacle doit rester vivant, dans l’intimité, l’odeur d’une salle de spectacle, dans un fauteuil de spectacle. Après, c’est ma vision des choses. Donc il s’est passé beaucoup de choses. Il y a eu des coups de colère, mais aussi des moments très gratifiants, de solidarité qui ont été formidables. On a pu échanger avec beaucoup de directeurs de théâtre qu’on ne connaissait pas. Il y a eu des choses positives, des choses très difficiles à vivre. Mais c’est passé...une période qu’on a passé tous ensemble. Et aujourd’hui, le public est de retour dans les théâtres ? (NDLR : le soir de notre entretien, la Compagnie proposait son premier spectacle « Les Cousines » avec un public non masqué)


De retour et ce soir, c’est le « sans masque » pour nous à la Compagnie. C’est une joie énorme. Maintenant on n’a plus de masque. Et nous, on a la chance d’avoir un air sans cesse régénéré. Vous pouvez venir sans crainte. C’est la joie absolue ce soir.


Depuis plus de deux ans, on a pris l’habitude d’avoir tout à disposition depuis le canapé, via les plateformes etc... Les théâtres, les cinémas constatent une baisse de la fréquentation.


Bien sûr, on l’a tous constaté. Mais moi je le dis encore une fois : "Faudra pas pleurer quand il n’y aura plus de salles de cinéma, et quand il n’y aura plus de salles de spectacles.


Il faut que les gens coupent la télévision, sortent de chez eux, viennent dans les théâtres, les cinémas, les bars, les restaurants. Il faut reprendre cette habitude de se retrouver, d’échanger autour d’un verre. Si vous voulez échanger avec les artistes, il faut venir au théâtre. Et la force de votre théâtre, c’est la proximité avec les artistes ?


On a deux salles et c’est vrai que les artistes sont très proches du public. Et la Compagnie est aussi un lieu de création. Et j’aime beaucoup quand les artistes disent « retrouvons-nous au bar chez Marius pour échanger, j’ai besoin de vos retours... » Et ça c’est vraiment unique. Il faut garder l’authenticité de l’esprit café-théâtre. Beaucoup d’artistes viennent ici en résidence. Parfois on parle de "rodage", un terme qui peut paraître péjoratif. Un peu comme si les artistes venaient tester leur spectacle avant de proposer une version "plus propre" pour les Parisiens... Mais en vrai, ça ne se passe pas vraiment comme ça ?


Je n’aime pas le mot "rodage", je préfère dire "en création". On a eu récemment La Bajon qui est venue créer son spectacle à la Compagnie. Le spectacle, il est écrit. Il va y avoir des subtilités. Mais le spectacle va ressembler à celui qui sera présenté à Paris et dans toute la France. Les artistes aiment venir ici pour créer parce qu’on est loin des projecteurs parisiens et de la presse parisienne. Et à Nantes, on a un public de qualité, intelligent, sensible. Les artistes savent nous le dire et se rendent compte que le public nantais est à l’écoute, bienveillant...Est-ce que vous avez une devise le matin quand vous vous levez ?


"Allez aujourd’hui, on va se marrer !"


La Compagnie du Café-Théâtre, 6 rue des Carmélites, Nantes.