Éric Guérin : "Ce n'est pas quelque chose d'anodin"
2 avril 2020 à 5h00 par Arnaud Laurenti
Le chef étoilé est actuellement confiné chez lui, dans les marais de la Grande Brière, en Loire-Atlantique. Alors qu'il s'apprêtait à rouvrir son restaurant "La Mare aux Oiseaux", Eric Guérin a du tout stopper dans l'urgence.
Crédit : Patrick Gérard
L'ouverture reportée de son restaurant, ses projets, ses occupations : voici le portrait de confiné du chef étoilé Éric Guérin.
Comment se passe cette période pour vous ?
J'ai la chance d'avoir fait un choix de vie plutôt agréable puisque je suis quand même sur l'île de Fédrun, en plein coeur de la Brière. Je vis au milieu des oiseaux et le temps est plutôt clément. Pour le confinement, ce n'est donc pas si compliqué que ça d'être à la maison.
En-dehors de tous les problèmes économiques que ça peut créer, j'ai pris le parti d'essayer de trouver un sens à tout ça. Je me suis recentré sur moi-même, j'ai un projet de livre. Je me suis plongé corps et âme dans son écriture. Je me concentre aussi sur ma cuisine, je prends le temps de revoir les choses, des choses essentielles.
Ce livre, ce sera un livre de recettes, sur votre environnement ?
Mon prochain livre, qui doit sortir à l'automne, était déjà prévu depuis un an. Mais je n'arrivais pas à trouver le temps de vraiment écrire, j'avais un peu de stress. Si mon précédent livre portait plutôt sur des inspirations à travers mes voyages, celui-ci est vraiment recentrer sur la région de Brière, les gens qui ont croisé mon chemin, et comment ensemble on s'est inspiré du territoire, comment le destin peut nous transformer et faire qu'on s'installe ou qu'on s'inspire de la région.
"La Mare aux Oiseaux" devait rouvrir le 1er avril. Comment vivez-vous le report de cette ouverture ?
Effectivement, ça fait quatre mois et demi qu'on prépare la réouverture avec beaucoup de nouveautés et de très gros investissements, un lifting complet de la maison puisqu'on allait fêter nos 25 ans au 1er avril. C'est un projet lourd économiquement, puisque c'est un investissement sur 15 ans.
Il y aussi un investissement en termes de personnel puisqu'il a fallu reconstruire une équipe. Je me suis retrouvé il y a une semaine avec une trentaine de jeunes frappant à la porte me disant : "On vient de démissionner pour vous, on est prêt, on a pris des appartements et on n'a plus de sources de revenus. Qu'est ce qu'on fait ?". Donc il a fallu mettre tous ces gens à l'abri et donc les embaucher comme prévu au 1er avril pour les mettre de suite au chomage partiel.
Ce n'est pas quelque chose que je prend à la légère mais il y a deux façon d'aborder les choses : soit on entre dans un stress incroyable et on ne pense plus qu'à ça jusqu'à se rendre malade ; soit on prend des décisions - et elles ont été prises rapidement, j'ai la chance d'être bien entouré. "La Mare aux Oiseaux" est une affaire familiale, ma soeur est aussi sur le projet, je peux donc me concentrer sur la créativité et sur des choses positives pour avancer.
Le flou dans lequel nous sommes tous en tant que chefs d'entreprises, on ne va pas le régler ce matin. Il y a une zone d'ombre, et à un moment on va se retrouver face à un mur qu'il faudra bien escalader.
Il y a d'autres choses qui vous occupent pendant vos journées de confinement ?
Oui, des passions. Par exemple, j'ai un compte Instagram où j'ai l'habitude de partager mes photos de voyages depuis des années. Je suis venu m'installer dans la région pour partager mon amour de la Brière et je me rends compte seulement aujourd'hui que depuis tout ce temps je n'ai mis aucune photo de la région ! Parce que je n'ai pas le temps d'admirer ce paysage qui est le mien au quotidien. Alors depuis quinze jours, je partage tous les jours des photos de mon environnement proche. Et c'est agréable de pouvoir aussi redécouvrir tout ça, d'avoir ce coté contemplatif. Ce matin, je me suis levé à 6h juste pour entendre les oiseaux au lever du jour, c'était incroyable ! J'ai l'impression que la nature reprend ses droits et ça c'est vraiment bien.
C'est aussi l'occasion de réfléchir à la carte du restaurant, de peaufiner vos recettes ?
La nouvelle carte était déjà dessinée et prête. Pour l'instant, je la laisse mûrir dans un coin, tranquillement. Je ne l'ai pas envoyé à l'impression ou à la traduction. Là je suis vraiment concentré sur le livre. Vu que j'ai du temps, je pense retourner dessus dans les prochains jours, je ne me presse pas. Voir un peu l'évolution. Je pense que chaque état d'homme fait bouger la donne, et les plats vont bouger en fonction de la situation.
J'ai aussi missionné mes deux seconds qui sont confinés ensemble dans la même maison. Ils rentrent de trois semaines au Japon. Je leur ai demandé de se pencher sur la cuisine, de sortir des idées, tout ce qui leur passe par la tête, en leur donnant évidemment une ligne de conduite. La Brière, la Loire, la presqu'île, et puis l'eau douce, l'eau salée, la mer, la rivière, des couleurs, le printemps... Je leur ai donné des thèmes et je veux voir ce qui va en ressortir. C'est intéressant pendant ce confinement de se poser des questions différentes, on revient à l'essentiel, tout le monde prend le temps de vivre et respirer. Je vois beaucoup de choses créatives sortir autour de moi, de gens qui se mettent à la peinture, d'autres à l'écriture, la photo, la poésie. Et ça, je crois que c'est une vraie richesse. Il faut la prendre et la respirer. C'est avec cet optimisme-là qu'on va réussir à passer le confinement.
Une idée de recette facile à faire pour occuper les enfants ?
(Rires) On a une très grosse demande pour faire des recettes à la maison. Je suis coincé à cause de problèmes de réseaux dans ma cuisine alors je publie quelques coups de main sur mes réseaux sociaux mais je suis obligé de les enregistrer à l'avance, je ne peux pas faire de direct.
J'ai fait une vidéo avec une blogueuse où nous avons revisité l'omelette avec l'idée de quelque chose de tout simple : quelques oeufs et ce qu'elle avait dans son frigo. Nous avons donc fait une omelette, des carottes rapées qu'on a assaisonnées avec un peu gingembre, un trait de citron et de l'huile de d'olive, et on a garnit l'omelette avec ça - et a priori, c'était très bon ! L'idée c'était vraiment de "pimper" le quotidien en prenant des choses simples et en les réinventant un peu avec du soleil, du peps et surtout de la bonne humeur.
Pour vos courses, ça se passe comment ?
Je fais mes courses chez mes producteurs locaux et c'est très agréable. Je préfère ça plutôt que d'aller m'enfermer dans une grande surface. Il faut aussi soutenir nos producteurs parce que beaucoup sont encore ouverts et ils nous attendent.
Un dernier mot ?
Il faut rester optimiste. Je pense que ce que nous vivons, c'est une étape. Ce n'est pas quelque chose d'anodin, il faut le prendre pour l'avenir et j'espère que ça fera un peu bouger les lignes. Qu'on fera un peu plus attention à notre environnement et à la façon dont on l'aborde.