Stephan Eicher : "La France m'a vraiment adopté très tôt"
Publié : 31 mars 2022 à 11h28 par Alexandrine Douet
À l'occasion de son passage dans le Grand Ouest cette semaine (à Poitiers, Nantes et Saint-Brieuc) Stephan Eicher a répondu à nos questions.
Stephan Eicher et ses musiciens
Crédit : Astérios Spectacles
C'est à quelques heures de son concert à Poitiers ce mardi que Stephan Eicher nous a accordé un entretien. Après plus de 40 ans de carrière, l'histoire d'amour continue entre le compositeur et interprète de "Déjeuner en paix" et le public français. Public qu'il a retrouvé il y a quelques mois avec un spectacle inédit "Dans le ventre de la baleine". Particulièrement créatif durant la pandémie, Stephan Eicher sort du schéma traditionnel en proposant un mini-album de quatre titres "Autour de ton cou", sorti directement sur les plateformes de streaming.
Quel rapport entretenez-vous avec le public français ?
Là, je suis à Poitiers, et la première fois que j’y ai joué, je crois que ça fait plus de 30 ans maintenant. C’était dans un petit club, j’étais tout seul avec mes machines et une guitare. Ça m’attendrit parce que la France m’a vraiment adopté très tôt. Malgré mon petit accent et mon français qui n’est vraiment pas parfait, la France m’a toujours suivie sur mes projets musicaux. C’est peut-être grâce à Philippe Djian, l’écrivain qui a commencé dans les années 90 à m’écrire des paroles. C’est ça qui a ouvert peut-être un peu plus encore le public français.
Ce petit accent, finalement, on ne l’entend pas dans vos chansons ?
Non, parce que je fais attention. Quand on chante, c’est autre chose que de parler, il y a une espèce de concentration. Quand je chante, j’ai vraiment envie qu’on comprenne ce que je chante.
Que proposez-vous sur scène actuellement ?
Il ne faut pas oublier qu’il y a eu cette pandémie. Pendant ces deux ans d’arrêt, j’ai été très créatif. J’ai décidé de rassembler un peu toutes ces idées sur ce spectacle que je joue sur scène actuellement. J’ai appelé ce spectacle "Dans le ventre de la baleine" parce que je trouvais que nous étions avalés par une très grande chose, on était un peu perdus et on cherchait la sortie.
En 2021, on m’a proposé de refaire l’album "Engelberg" à l’occasion de ses 30 ans. On a donc décidé de finir le spectacle en jouant tout l’album, qui est plutôt rock, de A à Z. Au début du spectacle, je joue mes toutes premières chansons, y compris celles avec mon premier groupe Grauzone, jusqu’à "Combien de temps". Au milieu du spectacle, je joue l’album "Homeless Songs" que je jouais, jusqu’en mars 2020, avant la pandémie. Ce spectacle, c’est un peu trois concerts en un.
Vous ne vous interdisez rien avec ce spectacle ?
Oui, je chante et je parle aussi beaucoup pendant ce spectacle, ce que les gens n’ont pas l’habitude. On ne s’est pas vu pendant deux ans, je pense qu’on a des choses à se dire entre nous, les musiciens, et le public. Ce sont un peu des retrouvailles après un long « exode » qui nous a tous marqués. Moi, je suis encore marqué et j’ai le sentiment que le public a vraiment besoin de se retrouver et d’écouter ensemble un groupe qui joue, qui chante, qui raconte des conneries (rires).
Pouvez-vous nous parler un peu de votre projet "Le Radeau des inutiles" spectacle que vous avez donné l'an dernier ? Une référence aux artistes que l'on a un temps considéré comme "pas essentiels"...
Grand Corps Malade a écrit un très beau texte en 2020 où il explique ça. Bien entendu, il y a des gens qui ont une importance plus grande qu’un chanteur pendant une pandémie. Mais, de séparer une population comme utile et inutile, puis vaccinés et non-vaccinés… Ce sont toutes ces choses qui nous séparent et je ne sais pas pourquoi on essaie de nous séparer. Je trouve plus important qu’on se rassemble dans ce merdier qui n’est pas encore terminé. Je crois que c’est mieux de faire des choses ensemble que séparément, c’est pour ça que j’ai choisi ce titre.
En Suisse, on avait le droit de jouer devant 15 personnes, ce qui était ridicule si vous êtes déjà quatre sur scène et trois techniciens, on était presque plus nombreux que le public. Je me suis dit pourquoi ne pas faire un geste généreux et faire à manger à ces 15 personnes. On a donc, mis ça en place et le public donnait ce qu’il voulait donner via un "chapeau" digital. Il faut savoir qu’en Suisse nous n’étions pas soutenus par l’État. Pendant un an, on a vécu avec notre propre argent. Ensuite, en juin 2021, on avait le droit de jouer devant 50 personnes. Là, la cuisine commençait un peu à râler. C’est-à-dire qu’on a dû construire une vraie cuisine qui voyageait avec nous. On a eu 12 cuisiniers, on a dû éplucher les pommes de terre à 17h, même les musiciens (rires). C’était extrêmement touchant et c’était extrêmement valable pour nous, les musiciens, parce qu’on pouvait jouer. C’est pourquoi, j’ai l’impression, qu’on est vraiment en forme actuellement. Parce qu’on a joué pendant la pandémie autant qu’on le pouvait. Je suis très content et fier de ce projet.
Cette façon de vivre, c’était un peu un retour aux sources, finalement, comme si c’était un bond en arrière d’une quarantaine d’années, comme à vos débuts ?
Sans penser à l’argent, oui (rires). Au début, quand je jouais à Poitiers, on me donnait à manger et à boire, c’était plutôt ça, comme au Moyen Âge un peu (rires). On faisait les choses différemment à l’époque. Quand la pandémie a vraiment commencé, je trouvais que ça n’avait pas de sens de ne pas s’en sortir économiquement. Je crois profondément, que cette pandémie a redéfini nos vies et notre façon de vivre. Cette crise sanitaire a eu un effet créatif sur moi.
Vous avez sorti début mars "Autour de ton cou". Est-ce que d’autres mini-albums du même type sortiront prochainement ?
Oui, le prochain devrait sortir en juin. Sur cet album, on a changé un peu le répertoire et on a ajouté un deuxième guitariste, c’est un peu plus musclé. En septembre, on devrait en sortir encore un. Puis, à la fin, on espère rassembler ces chansons dans un album, comme un grand souvenir de ces chansons, c’est un peu l’idée. Ce qui nous permettra d’avoir un revenu, de pouvoir payer les musiciens, les studios et de continuer de faire des choses artistiques, c’est un peu ça mon plan diabolique (rires).
Ces mini-albums, c’est habituellement une stratégie pour lancer des artistes en développement, pas des artistes de votre envergure ?
J’aime bien ce format avec lequel j’ai commencé à mes débuts. Ce n’est pas donné à tout le monde de faire un album d’une douzaine de chansons fortes qui résonnent entre elles. En revanche, je ne crains pas de sortir quatre mini-albums qui ont une résonnance entre eux. Je suis plus un artisan, je ne fais pas des grands immeubles, je fais des petits murs (rires).
Est-ce que c’est aussi parce que la façon de consommer la musique a changé ?
Oui, je trouve. Moi, je n’écoute plus vraiment des albums. Je me fais des playlists, des mélanges pour voyager, pour cuisiner, pour rêver, pour analyser aussi des œuvres musicales. Chacun est devenu un peu son directeur des programmes de radio.
Vous avez dit que l’argent n’est pas un moteur pour vous. Si vous deviez vendre vos droits, vous feriez quoi de cet argent ?
C’est une question que je me pose. Pas tous mes droits, bien entendu, mais il y a des chansons comme "Déjeuner en paix", je n’ai pas l’impression qu’elle m’appartient, c’est une chanson qui appartient au public. Je n’ai pas tout à fait étudié jusqu’au bout la question. Quand je vois des gens que je respecte beaucoup, comme Bob Dylan ou Neil Young, qui sont en train de vendre leurs droits à leur âge pour encore recevoir de l’argent, je ne comprends pas ça. Je me dis qu’on peut aussi donner des droits. Moi, ça me tente de réfléchir à ces choses-là. Il y a des chansons qui ont déjà rapporté beaucoup d’argent, pourquoi ne pas le donner à quelqu’un qui en a besoin, voilà.
Après plus de 40 ans de carrière et une vingtaine d’albums, qu’est-ce qui vous donne encore envie, aujourd’hui, de faire de la musique ?
J’aime vraiment la musique ! Avec plusieurs, on fait quelque chose qui est plus important que quand on est tout seul, ça, ça me plaît chaque jour et ça me plaira toujours. Parce que c’est un mystère qui me fascine. Je commence d’une feuille blanche, j’écris quelques accords, il y a des musiciens qui arrivent, mes auteurs qui me donnent un texte… Et, tout à coup, ma petite personne s’agrandit grâce aux autres, et à la fin, vous faites ça devant un public. Le public le fait résonner encore plus grand. Je ne me lasserai jamais de ça.
La flamme est, donc, plus que jamais présente après toutes ces années ?
Elle est plus grande ! Elle grandit chaque jour parce qu’on apprend des choses. Chaque jour, c’est un autre public, ça veut dire que c’est sans fin. J’ai une chouette vie (rires).
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)
Plus d'infos sur le site internet de Stephan Eicher : stephan-eicher.com