Benoît Decouvelaere : "Ça revenait plus cher de raffiner le pétrole ici que d’importer des produits"
Publié : 18 mars 2022 à 12h28 par Alexandrine Douet
Arrêtée durant près d'un an et demi, la raffinerie de Donges a redémarré cette semaine. À cette occasion, Benoît Decoulevaere, le directeur de la raffinerie a répondu à nos questions.
Cet arrêt de longue durée avait été décidé au cœur de la crise sanitaire, en novembre 2020. Une interruption en raison de la baisse de la consommation de carburants qui avait entraîné une chute des marges de raffinage quasiment inédite. Le redémarrage va se faire progressivement ces prochains jours. Entretien.
Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant tout ce temps ?
Pendant cet arrêt, les équipes ont préparé le redémarrage. Il y a notamment eu une période de gros travaux qui ont été réalisés. En novembre 2020, on avait pris la décision d’arrêter la raffinerie du fait du contexte lié à la Covid. Et, à l’été 2021, on avait décidé d’anticiper un grand arrêt technique, qui est une grande période de maintenance et d’inspection. En fait, ce sont des gros travaux qui se préparent. Donc, nos équipes ont été bien occupées pour préparer puis réaliser ces travaux entre novembre 2021 et février dernier. Maintenant, place au redémarrage.
En quoi consistait précisément ces travaux ?
Ce sont des travaux de maintenance et d’inspection que l’on fait à intervalle régulier tous les sept ans. Ces travaux ont pour objectif d’aller ausculter tous nos équipements, de les nettoyer et de pouvoir repartir pour un cycle complet, en sécurité, puis avec les bonnes performances opérationnelles.
Il y a aussi des travaux pour la création d’une unité de désulfuration avec un démarrage l’année prochaine ? C’est bien cela ?
Oui, c’est tout à fait ça. C’est-à-dire qu’on va enlever du soufre du pétrole qui arrive, et ça, ça nous permet d’obtenir des produits dont la totalité maintenant seront aux spécifications européennes et qui permettront d’améliorer la rentabilité de la raffinerie. C’est un projet dont on avait vraiment besoin et qui va démarrer, effectivement, en milieu d’année prochaine.
La raffinerie a donc fonctionné grâce à l’importation de produits déjà raffinés pendant ces 16 mois de travaux ?
Oui, effectivement. On avait pris la décision d’arrêter la raffinerie pour des raisons économiques. C’est-à-dire qu’à l’époque, ça revenait plus cher de raffiner le pétrole ici que d’importer des produits. Donc, pour continuer à servir nos clients, on a décidé d’importer des produits finis d’autres raffineries de la compagnie TotalEnergies et par des imports d’autres pays.
Deux jours après l’invasion de l’Ukraine, un navire russe a livré plus de 30.000 tonnes de gasoil sur les côtes de Loire-Atlantique. Depuis, il n’y a pas eu d’autres livraisons de gasoil russe ?
Tout à fait. Ce cargo avait été acheté avant les événements dramatiques qui se passent en Ukraine. Depuis, il n’y a pas eu d’autres cargos déchargés.
Et vous assurez qu’il n’y aura pas de gasoil russe qui débarquera en Loire-Atlantique les prochaines semaines ?
L’objectif de redémarrer la raffinerie maintenant, c’est justement de pouvoir fournir les clients avec du produit qui va être raffiné ici à Donges, donc, il n’y aura plus d’imports de produits.
Comment se passe justement le redémarrage de la raffinerie ? Ça prend un petit peu de temps de redémarrer intégralement ?
Effectivement, le redémarrage va se passer sur deux semaines environ. Mercredi, c’était en quelque sorte le top départ parce qu’on a démarré une première grosse machine, ce qu’on appelle un compresseur. Ensuite, s’enchaîne toute une série d’opérations. Par exemple, ce week-end, on va rentrer dans les unités le pétrole brut. Début ou milieu de semaine prochaine, on va commencer à le raffiner. C’est-à-dire commencer à séparer les éléments qui sont constitutifs du pétrole et qui font derrière qu’on va pouvoir à nouveau produire des essences, du diesel, du kérosène. Tous les produits dont nos clients ont besoin.
Le redémarrage complet est prévu pour quand ?
Sous une quinzaine de jours, le redémarrage sera complet. On pourra donc servir tous nos clients à partir des produits raffinés ici à Donges.
A l’automne prochain, il y aura la mise en service d’un contournement ferroviaire, les trains ne traverseront plus le site. Qu’est-ce que ça va changer précisément pour vous ?
C’est, effectivement, un grand pas et, je pense, une excellente nouvelle pour tout le monde. C’était attendu depuis très longtemps. De ne plus avoir des trains qui traversent un site comme le nôtre, c’est un gage de sécurité. Pour nous également, c’est une capacité de pouvoir mieux gérer les opérations. Il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui on a un site industriel qui est vraiment coupé en deux, entre une partie au Nord et une partie au Sud, donc, coupé en deux par cette voie ferrée. À partir du moment où cette voie ferrée ne passera plus dans le site, on va pouvoir, d’une part se développer, et puis d’autre part pour les équipes, ça va permettre d’avoir des échanges plus fluides entre l’ensemble des équipes. Par exemple, on a le projet, actuellement, de construire une nouvelle salle de contrôle unique pour regrouper les équipes de production.
Pourquoi est-ce que dossier a pris autant de temps ?
Je n’ai pas de commentaire à faire là-dessus. Je pense qu’on est tous heureux que ce contournement soit effectif en octobre prochain avec tous les effets positifs que cela va engendrer.
Concernant le redémarrage de la raffinerie, vous avez souligné qu’il y avait de possibles nuisances sonores et olfactives à prévoir pour ces prochains jours. Techniquement, pourquoi, en fait ?
Effectivement, c’est lié à nos modes de production. D’abord, du souffre qui se trouve à l’état naturel dans le pétrole et que l’on enlève des produits, du coup, il y a quelques émanations de souffre dans l’atmosphère qui sont surveillées et contrôlées, qui diminuent années après années grâce à tous nos efforts. Néanmoins, ça reste une molécule assez odorante même à des très faibles quantités. Nous, quand on redémarre, effectivement, on reprécise que ces éléments-là vont réapparaître. Quand on démarre un compresseur, ça fait un peu de bruit, donc, nos voisins sont habitués à ce bruit. On leur reprécise, qu’à partir du moment où la raffinerie redémarre, il y a un petit peu de vie industrielle qui réapparaît.
Ça veut dire que la qualité de l’air sera d’autant plus surveillée ces prochains jours ?
La qualité de l’air reste surveillée même dans le cadre d’une raffinerie à l’arrêt. Donc, on continue cette surveillance, bien entendu, au moment des opérations de redémarrage et puis dans la vie de notre raffinerie.
Vous êtes prêts à répondre aux questions des riverains, puisqu’il y a un numéro de téléphone qui est en place ?
Tout à fait. On a un numéro de téléphone habituel. On a bien précisé à nos riverains que sur ce redémarrage, qui reste particulier après 16 mois d’arrêt, on va communiquer encore plus que d’habitude sur l’évolution de ce redémarrage.
La raffinerie de Donges est donc aujourd’hui la deuxième raffinerie de France, elle conserve ce statut ?
Oui, tout à fait. Avec le projet d’unité de désulfuration en 2023, quelque part, on vient renforcer la position de notre raffinerie.
Y aura-t-il des créations de postes à la clé ?
Aujourd’hui, on n’a pas de créations de postes liées à ce projet. Mais la possibilité d’avoir des interactions plus fluides, une fois que la voie ferrée aura été détournée, nous a permis de mettre en place un projet de nouvelle organisation plus efficace qui sera mis en place à partir de 2023.
Un redémarrage, évidemment, dans un contexte très particulier alors que les prix des carburants flambent actuellement. Il y a une organisation de transporteurs routiers qui appelle à une grande mobilisation lundi prochain. Est-ce que vous envisagez un blocage de la raffinerie ? Si oui, comment est-ce que vous vous y préparez ?
Ça, je ne sais pas pour ce qui est du blocage. Nous, notre objectif premier, c’est de produire et puis d’avoir les produits disponibles pour nos clients. Cela étant, on gère en fonction des situations qui se présentent à nous avec les autorités compétentes en la matière.
La direction de TotalEnergies a mis en place un numéro de téléphone pour les riverains : 02 40 90 55 00 (24h/24)
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)