États-Unis : la Cour suprême s'apprêterait à annuler le droit à l'avortement
Publié : 3 mai 2022 à 8h23 par Arnaud Laurenti
Selon le journal Politico, la Cour suprême pourrait revenir sur un arrêt en vigueur depuis 1973. En cas d'annulation, chaque Etat sera libre d'interdire ou autoriser les avortements.
La Cour suprême des Etats-Unis serait sur le point d'annuler un arrêt historique reconnaissant depuis près d'un demi-siècle le droit à l'avortement aux Etats-Unis, selon un projet de loi qui a fait l'effet d'une bombe à Washington.
Le journal Politico, qui s'appuie sur une fuite inédite de documents, a indiqué dans un article tard lundi s'être procuré l'avant-projet d'une décision majoritaire rédigé par le juge conservateur Samuel Alito et daté du 10 février.
Immédiatement après cette fuite, des centaines de personnes se sont spontanément massées devant la Cour suprême à Washington, certains pour protester, d'autres pour se réjouir.
L'arrêt Roe v. Wade qui, en 1973, a estimé que la Constitution américaine protégeait le droit des femmes à avorter, était "totalement infondé dès le début", selon ce texte de 98 pages qui peut faire l'objet de négociations jusqu'au 30 juin.
Un "avant-projet", la décision par encore actée
"Nous estimons que Roe v. Wade doit être annulé", écrit Samuel Alito dans ce document, appelé "Avis de la Cour" et publié sur le site internet de Politico.
"L'avortement constitue une question morale profonde", estime M. Alito.
"La Constitution n'interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d'interdire l'avortement", selon lui.
"La conclusion inéluctable est que le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation", a-t-il ajouté.
Selon lui, il "n'est protégé par aucune disposition de la Constitution".
Si cette conclusion est bien retenue par la Haute cour, les Etats-Unis reviendront à la situation en vigueur avant 1973 quand chaque Etat était libre d'interdire ou d'autoriser les avortements.
Compte tenu des importantes fractures géographiques et politiques sur le sujet, une moitié des Etats, surtout dans le sud et le centre conservateurs et religieux, devraient rapidement bannir la procédure sur leur sol.
"Soyons clair : c'est un avant-projet. Il est scandaleux, sans précédent mais pas final : l'avortement reste votre droit et est encore légal", a tweeté l'organisation Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des avortements.
Du jamais vu
La Cour suprême a été profondément remaniée par l'ancien président républicain Donald Trump qui, en cinq ans, y a fait entrer trois magistrats, confortant sa majorité conservatrice (six juges sur neuf).
Depuis septembre, cette nouvelle Cour a envoyé plusieurs signaux favorables aux opposants à l'avortement.
Elle a d'abord refusé d'empêcher l'entrée en vigueur d'une loi du Texas qui limite le droit à avorter aux six premières semaines de grossesse contre deux trimestres dans le cadre légal actuel.
Lors de l'examen en décembre d'une loi du Mississippi, qui questionnait aussi le délai légal pour avorter, une majorité de ses magistrats ont clairement laissé entendre qu'ils étaient prêts à grignoter voire à tout bonnement annuler Roe v. Wade.
Le document présenté par Politico porte sur ce dossier. Sa publication constitue une fuite rarissime pour la Cour suprême, où le secret des délibérations n'a quasiment jamais été violé.
"Je suis presque sûr qu'il n'y a jamais eu une telle fuite" à la Cour suprême, a commenté sur Twitter le juriste Neal Katyal qui a plaidé à plusieurs reprises pour le gouvernement de Barack Obama devant la haute juridiction. Pour lui, "plusieurs signes" laissent entendre que le document est authentique.
Interrogée par l'AFP, la Cour suprême a refusé de commenter.
Manifestations spontanées
Sans attendre la décision officielle, des centaines de défenseurs du droit à l'avortement mais également de personnes contestant ce droit se sont réunies spontanément dans la soirée devant le temple de marbre blanc qui abrite la Cour suprême à Washington.
Dans la foule qui scandait "mon corps, mon choix", Abby Korb, une étudiante de 23 ans et assistante parlementaire, a confié à l'AFP être "littéralement en état de choc". Pour elle, "rendre les avortements illégaux ne va pas y mettre fin, cela va juste les rendre plus dangereux".
Pour sa part, Claire Rowan, 55 ans, une mère de sept enfants venue avec certains d'entre eux, ne cache pas son enthousiasme. Elle espère à présent que les gens "demanderont pardon à Dieu", pour que les Etats-Unis puissent "guérir".
Tout aussi divisée, la classe politique a elle aussi vivement réagi à l'article de Politico.
Plusieurs élus démocrates ont estimé qu'il confirmait "l'urgence" de graver le droit à l'avortement dans la loi. "Nous devons protéger le droit à choisir et inscrire Roe V. Wade dans la loi", a notamment tweeté la sénatrice Amy Klobuchar.
Une proposition en ce sens a été adoptée à la Chambre des représentants mais est enlisée au Sénat à cause de la féroce opposition des républicains.
Ces derniers ont au contraire salué une victoire très attendue. "C'est la meilleure et la plus importante nouvelle de notre vie", a commenté la représentante Marjorie Taylor Green, alors que son confère Josh Hawley appelait la Cour à publier "dès maintenant" son arrêt.
(avec AFP)