Le témoignage poignant d'Olivier Le Bras, le "visage des Gad", dix après la fermeture de l'abattoir finistérien

11 octobre 2023 à 11h54 par Marie Piriou

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Dans le Finistère, cela fait dix ans jour pour jour que l’abattoir Gad a fermé ses portes à Lampaul-Guimiliau. Une fermeture qui avait entrainé la suppression de 889 emplois. Le témoignage d’Olivier Le Bras, ancien délégué syndical.

Olivier Le Bras, l’ancien délégué syndical, qui avait été baptisé le "visage des Gad"
Olivier Le Bras, l’ancien délégué syndical, qui avait été baptisé le "visage des Gad"
Crédit : DR

Le 11 octobre 2013, il y a dix ans jour pour jour, l’abattoir Gad situé dans le Finistère fermait. C’était une véritable institution à Lampaul-Guimiliau. 889 personnes s’étaient retrouvées sans emploi, un choc pour ces salariés. Rencontre avec Olivier Le Bras, ancien délégué syndical, qui avait été baptisé le "visage des Gad". Il nous livre un témoignage poignant.

 

Ce mercredi à 17h15, cela fera dix ans que la justice prononçait la liquidation de l'abattoir porcin Gad de Lampaul-Guimiliau, laissant 889 salariés sur le carreau. Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Toujours ce sentiment de gâchis, d’injustice et d’incompréhension. Parce que, dix ans après, je crois que personne ne pourra nous expliquer pourquoi ce site à Lampaul-Guimiliau, placé au cœur de la production porcine, avec une qualité humaine et productive reconnue, a fermé.

 

Jean-Marc Puchois, l’ancien maire de Lampaul-Guimiliau, a déclaré que "Gad, c'est une plaie qui ne se refermera jamais" Vous partagez ce qu'il dit ?

Oui. J’avais imaginé, à titre personnel et collectif, que cette cicatrice se refermerait et s’atténuerait avec le temps. Et en fin de compte, pas du tout. Dix ans après, l’émotion est toujours aussi vive. La douleur est toujours aussi vive. Il est impossible d’imaginer qu’on pourra refermer cette plaie. Je ne pense pas que le temps va œuvrer. En tout cas, à titre personnel, je ne la refermerai jamais.

 

Est-ce que cela vous arrive encore, aujourd'hui, d'y penser ?

Oui. Parce que j’y ai donné 18 ans de ma vie en production et un an pour essayer de trouver une solution pour sauver le site. J’en rêve encore. Je rêve que je retourne sur la chaîne avec les copains et les copines, je rêve que l’on abat à nouveau du cochon et que l’usine redémarre à nouveau. Est-ce que c’est un rêve ou un cauchemar ? Je n’en sais rien, difficile de faire la différence. En tout cas, dix ans après, je n’oublie pas et je crois qu’on n’oubliera jamais.

 

On se souvient de cette image forte de vous et de Jean-Marc Puchois en pleurs sur le parking de l'usine ce 11 octobre 2013…

J’ai trois jours dans ma vie qui sont marqués au fer rouge dans ma mémoire et dont je me rappelle parfaitement bien. Les naissances de mes deux enfants et le 11 octobre 2013. C’est un jour que je ne peux pas oublier, cela reste tellement marqué, comme si le temps c’était arrêté, figé et comme si je n’avais plus, justement, cette notion du temps.

 

En 2013, à cette époque, vous étiez baptisé "le visage des Gad". Est-ce que vous ressentiez un certain poids sur vos épaules ? Une certaine responsabilité ?

Oui. Chaque conflit a eu son visage. Pour les Gad, c’était moi. Forcément que le poids était énorme, parce que se jouait l’avenir des gens. Chaque décision que vous prenez, même si elle peut être concertée, c’est vous qui la prenez. Chaque mot, chaque action, pouvaient entraîner une répercussion par la suite. Je ne m’en suis pas rendu compte sur l’instant parce que j’étais dans le cœur et le feu de l’action. Mais aujourd’hui, dix ans après, je me rends compte que tout ce qui a été fait, tous les choix que j’ai fait ont entraîné des répercussions, positives ou négatives. Chacun est libre de juger. Mais le poids des responsabilités était énorme, surtout quand vous n’y êtes pas préparé.

 

Après la fermeture, vous étiez dans quel état d'esprit, concrètement ?

Je crois que c’est la première fois de ma vie où je pensais que c’était terminé pour moi. Que, clairement, je ne ferais plus rien de ma vie et que l’avenir serait sombre. Pourtant, avec mes amis, ma famille, mes enfants, on peut se projeter. Mais ce jour-là, je crois que le poids des responsabilités et l’échec, que j’assume et que j’assumerai jusqu’à la fin de mes jours, m’ont fait croire que je n’étais plus capable de rien et que plus rien ne pourrait se passer pour moi. Donc un sentiment très lourd et très difficile ce jour-là.

 

 

Aujourd'hui, que devenez-vous ? Que faites-vous dans la vie ?

J’ai quand même mis quasiment trois ans à me reconstruire. J’ai la chance aujourd’hui d’avoir un travail à l’aéroport de Brest-Bretagne, je suis agent de sûreté aéroportuaire à mi-temps. J’ai également fait le choix d’entrer en politique, j’en suis à mon deuxième mandat de conseiller régional où j’œuvre sur le Pays de Morlaix. Entre Rennes, Brest et Morlaix, j’ai un emploi du temps très chargé. J’ai la chance de faire des choses que j’aime, qui me plaisent, de me sentir à nouveau actif. Est-ce que je suis utile ? Je n’en sais rien mais, en tout cas, actif. Et malgré cette douloureuse fermeture, je suis un homme heureux et apaisé.

 

Un repas entre ex-Gad est prévu le 4 novembre prochain à La Tannerie à Lampaul-Guimiliau. Vous y serez ?

Oui parce que c’est une envie, une envie de se retrouver dix ans après. Peut-être pour vraiment boucler la boucle. On s’était retrouvé, un an après, on s’était dit qu’on n’y reviendra plus jamais. Les 889 salariés ne seront pas présents mais il y aura des Gad qui ont juste envie de se retrouver le temps d’un moment et simplement. Ce 4 novembre, peu importe le nombre de participants, sera chargé en émotions et très fort. Ce sera probablement la dernière fois qu’on se verra là, en tant que Gad. Que chacun puisse, ensuite, tourner cette page-là et continuer à regarder de l’avant.

 

Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac