Arnaud Boissières : "Peut-être que ce qu'on vit nous servira de leçon"
1er avril 2020 à 5h00 par Arnaud Laurenti & Denis Le Bars
C'est l'un des skippers du Vendée Globe : Arnaud Boissières, comme beaucoup d'autres, a du suspendre sa préparation à la prochaine course pour se confiner chez lui, aux Sables-d'Olonne. Habitué à la solitude en mer, comment vit-il son confinement ? Il a répondu à nos questions.
Vieux loup de mer, Arnaud Boissières en a vu d'autres à bord de son Imoca durant le Vendée Globe. Si le confinement est un passage obligé, le skipper prend son mal en patience et reste actif pour être prêt à prendre la mer quand tous les feux seront au vert. Entretien.
Comme se passe votre confinement ?
Je suis aux Sables d'Olonne depuis une dizaine de jours, alors je suis pas mal loti. On a fermé l'atelier. J'y passe tous les deux jours pour des raisons de sécurité, parce qu'il y a quand même pas mal de produits dangereux. Sinon le bateau et le chantier sont en standby : on fait le dos-rond, comme on dit en mer, en espérant que ça aille mieux dans les semaines et les jours prochains.
Là, je suis à la maison. J'ai un petit jardinet, pas très grand, mais il fait beau donc c'est bon pour le moral. Et puis, je fais tout ce qui est administratif, où j'étais un peu en retard, je fais mes listings matériel pour le Vendée Globe, un peu de météo... On s'occupe.
C'est important de rester occupé, d'avoir quelque chose à faire ?
Oui, il ne faut pas se laisser aller. Le réveil sonne à 7h comme d'habitude, j'ai un rythme un peu comme en mer. On a pas mal de réunions téléphoniques avec le conseil d'administration Imoca pour faire tout ce qu'on avait pas eu le temps de faire : se projeter sur la jauge 2025-2024, penser aux prochains nouveaux bateaux... C'est plus derrière l'ordinateur que derrière le bateau mais on rattrape le temps perdu. Et surtout, on essaie d'aller de l'avant parce qu'après il faudra repartir, et on repartira de plus belle.
Vous faites partie des marins qui ont pris le départ de la Virtual Regata ?
(Rires) Non, je n'ai pas pris le départ mais j'ai plein de copains qui l'ont fait et qui m'envoient des résultats. Il y en a même qui ont pris le nom La Mie Caline, c'est plutôt sympa (ndlr, le sponsor de l'Imoca d'Arnaud Boissières). Mais non, je ne l'ai pas fait parce que ça prend beaucoup de temps et au final, en restant à la maison, je suis quand même pas mal occupé.
Le confinement se passe en famille ?
Oui, j'ai récupéré mon petit garçon qui a 3 ans, du coup il faut l'occuper. Pour lui, ça va bien : on joue au foot dans le petit jardinet, hier on s'est lancé dans la cuisine, on a fait des crêpes ! Bon, comme je suis un piètre cuisinier, elles étaient moyennement réussies, il y avait des grumeaux - mais on a plutôt rigolé.
La maîtresse aussi est super sympa parce qu'elle envoie des messages à tous les parents. On renvoie des photos pour dire que la vie continue et que les petits gardent le moral. C'est plutôt bon enfant, je profite du bon temps avec le petit.
Il comprend ce qu'il se passe ?
Je pense qu'il ne comprend pas, parce que même moi j'ai du mal à comprendre. Il comprend l'essentiel : ce matin, il voulait aller au parc puis il a aussitôt dit "non, on n'a plus le droit, la police peut nous arrêter". Il a compris que c'était interdit d'aller au parc, c'est déjà pas mal. On est donc sorti de la maison pour jouer au ballon juste devant l'entrée et ça a suffi. Il aussi un petit vélo, il en fait dans le jardinet ou juste devant la maison. Au final ça lui convient puisqu'il a tout simplement peur de la police (rires).
Après, la crise sanitaire, les gens qui sont malades, il ne comprend pas et on va essayer de l'épargner, parce que c'est un peu triste quand même tout ça.
Pas de sortie à moins d'un kilomètre de la maison ?
J'essaie d'éviter un maximum. Tant qu'on peut éviter, on évite. On sort devant la maison, c'est une toute petite ruelle, c'est tout. Tant que ça lui suffira, ça me suffira aussi. Comme on sait pas vraiment où on va, c'est la démarche la plus stricte. Je n'ai même pas été faire de courses depuis le confinement puisque j'avais des réserves. J'avais du pain que j'avais congelé à l'atelier donc j'ai récupéré tout ça et je vais faire le maximum pour être le plus confiné possible, pour éviter le moindre risque pour nous et les autres.
Le Vendée Globe, ce n'est pas de l'athlétisme mais il y a aussi une nécessité de s'entretenir physiquement. C'est possible à la maison ?
Oui c'est possible - et puis je ne suis pas non plus un adepte de la préparation physique (rires). Je me suis fait un petit parcours devant la maison avec des plots et dans mon jardinet, j'ai aménagé de quoi faire du gainage. J'en fait un peu tous les jours, environ 20-25 minutes tous les matins, avec des pompes et la chaise. C'est bien aussi pour le moral, de se dire que j'ai un but : être au top physiquement pour être en forme sur le bateau à la fin du confinement.
Mon petit garçon de 3 ans a essayé de faire des pompes mais c'est pas évident pour lui (rires).
Cette situation soulève des questionnements sur le calendrier du Vendée Globe ?
On ne sait pas encore, on ne sait pas jusqu'à quand va durer le confinement. On en a encore sûrement pour un mois mais le Vendée Globe c'est loin, c'est en novembre. C'est sûr que toutes les équipes de préparation de bateau sont perturbées mais c'est un moindre mal. Les plus perturbés ce sont surtout nos partenaires, c'est encore plus dur pour eux.
Je devais sortir le bateau le 3 avril, et le mettre à l'eau le 8 avril. Là c'est compromis, il y aura sûrement un mois de retard. C'est ça en moins pour l'entraînement. Le seul "truc" bien, c'est que c'est pareil pour tout le monde ! Il y a une équité sportive à ce niveau là.
Après on discute beaucoup entre skippers, on va s'adapter, il y aura des courses pour s'entraîner et se qualifier. On essaie d'avoir l'esprit vif pour, le cas échéant, être percutant, et mettre le bateau à l'eau et puis aller naviguer. J'ai un programme avec pas mal de sorties avec des partenaires en juin, et pour l'instant tout est maintenu. Mais sortons d'abord de tout ça.
La vie d'un marin du Vendée Globe, c'est entre 3 et 4 mois seul en mer et loin de tout. Pour ceux qui ressentent cette solitude en confinement, vous avez une expérience à partager ?
L'avantage que j'ai, c'est que j'ai une motivation extrême. Après, il y a des moments où on se sent seul mais ce sont des moments où il faut se récueillir en pensant à sa famille, au passé, au futur. Il faut passer du temps à lire, et à faire le point sur tout ce qu'on a fait. Il n'y a pas de bonne méthode. On a tous des passions : certains ont des programmes sportifs, d'autres préparent déjà leurs vacances. Il faut se projeter, il ne faut pas s'appitoyer sur son sort et ne pas trop regarder les émissions télé défaitistes.
Il faut profiter de ces moments pour essayer de se projeter sur l'avenir. Peut-être que ce qu'on vit nous servira de leçon, sur l'écologie, notre manière de vivre. J'espère en tout cas.
Quand on dispute le Vendée Globe, on est certes seul mais il y a un objectif qui est la course elle-même et on se doit de structurer sa journée. La situation est un peu différente, mais ça reste important de "structurer sa journée" en confinement ?
Oui, il faut des trucs structurants sinon on pète un câble (rires). Les plus jeunes vont vouloir jouer et regarder la télé, mais ça abrutit pas mal. Avec mon grand garçon qui vit à Arcachon, on s'appelle en visio. Même si on est seul, aujourd'hui, on a les moyens d'appeler la famille. Il y en a même qui se font des apéros en ligne ! Et puis, on dit toujours qu'on n'a jamais le temps de tout faire : là c'est l'occasion !
C'est sûr que pour les hyperactifs comme moi, on peut parfois tourner en rond, alors parfois je me mets devant l'ordinateur et je regarde des vidéos. Mais c'est vrai que j'ai la chance d'avoir un objectif ultime qui est le Vendée Globe. Je pense qu'il faut que chacun se donne des objectifs pour mieux vivre ce confinement.