Pesticides : "on est atterrés"

5 février 2024 à 19h33 par Denis LE BARS

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En marge des manifestations d'apiculteurs, les réactions se succèdent après le coup de frein donné par l'état dans le plan de réduction des produits phytosanitaires. Six associations de riverains s'insurgent.

Une pause dans le plan Ecophyto
Une pause dans le plan Ecophyto
Crédit : Envato

Le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'Ouest figure parmi ces associations. Elle revendique 530 adhérents et accompagne plusieurs dizaines de personnes victimes de maladies professionnelles provoquées par l'utilisation des pesticides et insecticides. Michel Besnard est son président. 

Quelle est votre réaction à la décision du gouvernement de faire une pause dans le plan Ecophyto ?

Je passe beaucoup de mon temps à accompagner des gens malades des pesticides. Pour eux, c’est vraiment un coup sur la tête, c’est nier leurs maladies. Donc c’est beaucoup plus que de la déception, on est vraiment atterrés.

Plus qu’une pause, c’est un recul pour vous ?

Déjà, la marche en avant était très lente. Puisqu’en 2008, selon le plan de réduction des pesticides, on devait faire moins 50% en 2025. Evidemment, on ne l’a pas fait puisqu’on n’a pas diminué. On se retrouve avec, à peu près, les mêmes quantités qu’en 2010. Là, ils viennent de refaire un plan qui ne prend plus 2008 comme point de départ, mais qui prend comme point de départ 2015, et qui en 2030 supposerait d’avoir réduit de 50%. Donc on n’a aucune confiance en ce plan-là. Même ce plan, maintenant, on parle de l’abolir, de ne plus en tenir compte. Ce sont des reculs successifs, en fait.

Etes-vous opposé à ce que veulent les agriculteurs, d’une manière générale ?

Malheureusement, dans toute cette période qu’on vient de passer, les médias ont beaucoup parlé des agriculteurs. Mais entre un céréalier de la Beauce, de l’agrobusiness, dont monsieur Rousseau est le représentant, et un maraîcher bio de la campagne rennaise, ou d’un petit viticulteur dans le Bergerac, le monde agricole est très hétérogène. Les intérêts des grosses exploitations n’ont rien n’a voir avec les intérêts des petites exploitations familiales. Selon nous, les résultats de ces manifestations, c’est plutôt au bénéfice des grosses fermes. Quand on dit qu’on va arrêter la taxe sur le GNR, qui c’est qui dépense du GNR, entre un gars qui a 50 hectares et un gars qui en a 700, comme monsieur Rousseau ? Quand on supprime cette taxe, les gros bénéficiaires, ce sont les grosses exploitations. Toutes les mesures fiscales qu’on prend, les allégements de charges et les suppressions de normes, elles favorisent qui ? Surtout les grosses exploitations. Les agriculteurs petits et moyens servent de manœuvre pour servir les intérêts de la grosse agriculture.

Votre association est là aussi pour s’occuper des victimes de ces produits phytosanitaires. Est-ce que la relation entre leurs maladies et ces produits est avérée ?

Effectivement, depuis qu’on existe en 2016, on a accompagné jusqu’à la reconnaissance en maladie professionnelle 140 personnes. Et on a une soixantaine d’autres dossiers en cours. Ces reconnaissances en maladies professionnelles, c’est quelque chose de très officiel. Il y a plusieurs maladies qui sont inscrites dans les tableaux de maladies professionnelles des régimes agricoles comme étant liées ou dues à l’usage de pesticides. Si ça a été mis dans des tableaux de maladies professionnelles, c’est quelque chose de très officiel, c’est décidé par l’Etat. C’est que, d’une part, il y a eu des études scientifiques qui ont régulées le lien entre les molécules et telle ou telle maladie, et, d’autre part, c’est que, statistiquement, dans le monde des utilisateurs de pesticides, les taux de ces maladies sont beaucoup plus élevés que la population générale. Par exemple, sur un cancer de la prostate, de ce que j’ai lu, un agriculteur ou un utilisateur de pesticides a quatre fois plus de risques d’avoir un cancer de la prostate, qu’un non-utilisateur de pesticides.

Seuls les agriculteurs sont concernés ?

Les gens que l’on soutient, ce sont les agriculteurs, les paysagistes, les employés des espaces verts, les salariés des coopératives, des entreprises agricoles. Ce sont tous les gens qui manipulent des pesticides. Donc ça va bien au-delà de la profession d’agriculteur.

Mais au-delà, si les premiers à se mettre en danger, ce sont les agriculteurs, les riverains aussi sont les victimes collatérales de l’utilisation des pesticides. Dans le collectif, on a un certain nombre de gens qui ont les mêmes maladies que les professionnels. Toute la population qui vit autour de ces champs traités, c’est l’ensemble de la population qui est impactée, et pas que les utilisateurs. Si on est capables de tuer les végétaux et les insectes, on est aussi capables de tuer l’homme avec ces produits-là. Pour nous, c’est criminel de détourner le regard et de privilégier l’économique sur la santé des gens. Là, c’est ce qu’il se passe. C’est surtout privilégier l’économique pour une infime partie des agriculteurs, d’un agrobusiness qui a tout intérêt que ça continue comme ça.

(retranscription Mikaël Le Gac)