Sébastien Laurent : "Sans les parcs animaliers, beaucoup d'espèces auraient disparu"
Publié : 1er avril 2022 à 10h53 par Alexandrine Douet
Le zoo de la-Boissière-du-Doré poursuit son développement avec l'ouverture de la Vallée des ours, un nouvel espace de 2,4 hectares.
Après de nouveaux aménagements pour les panthères et les servals en 2019 et l'ouverture du "Royaume des Lions" en 2020, le parc animalier installé dans le vignoble nantais, soucieux du bien-être de ses animaux vient d'inaugurer un nouvel espace pour ses trois ours bruns, Frisquette, Meya et Ursus âgés de 5, 17 et 37 ans. Le zoo ne compte pas s'en arrêter là. Un nouveau terrain accueillera prochainement les autres grands carnivores du parc, les tigres puis les loups. Entretien avec Sébastien Laurent, le directeur du zoo de la Boissière-du-Doré, également à la tête du zoo de Mervent.
Avant d’évoquer la grande nouveauté de cette saison, pouvez-vous nous faire un petit point sur la fréquentation depuis la réouverture du parc le 5 février dernier ?
La fréquentation est plutôt bonne puisque, forcément, la météo a été très favorable pour ce début de saison. Donc, c’est plutôt de bon augure pour la reprise.
Vous vous préparez pour les vacances de printemps qui se profilent avec encore plus de visiteurs ?
Oui, déjà, on a fait des bonnes vacances de février. Et puis, là, les vacances qui arrivent. Nous, le vrai début de saison, ce sont les vacances de Pâques, tout le temps. Là, on est ouverts quotidiennement depuis le week-end dernier. Le vrai démarrage sera à partir du 9 avril.
Depuis le week-end dernier, les visiteurs ont accès à un nouvel espace pour vos trois ours. Ça s’appelle, justement La Vallée des ours, espace de 2,4 hectares. Combien de temps a-t-il fallu pour construire ce nouvel espace ?
Alors, un peu plus de sept mois. Ça nous a vraiment occupés depuis l’automne dernier. C’était même un contre-la-montre un petit peu sur la fin puisqu’on voulait vraiment que ce soit prêt pour ce début de saison. C’est un énorme chantier, honnêtement, c’est le plus gros chantier du parc jamais réalisé. Même si on a déjà fait des belles extensions de cette manière, comme les plaines africaines, mais là, la grosse différence, c’est qu’en termes d’aménagements intérieurs, c’est assez complexe puisqu’on a des grands bassins, on a des rivières, on a beaucoup de troncs d’arbres, plus de 1.300 tonnes de rochers… Plein de choses et beaucoup de végétation aussi, parce que les ours ont besoin d’atmosphère très enrichie, et puis, recréer des conditions les plus naturelles possibles, bien sûr.
Donc, ce sont trois ours bruns, deux femelles et un mâle, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Ce sont nos ours qu’on a déjà depuis longtemps puisque le mâle est très vieux, il a 37 ans. On craignait même qu’il ne connaisse pas ce nouvel espace. C’est chose faite, maintenant, je ne sais pas combien de temps il va encore tenir, son frère est déjà mort depuis un moment, mail il est toujours là et il a profité déjà de tout l’espace puisque ça a été le premier à aller tout en haut au plus loin de l’enclos.
Un tel projet, ça coûte combien à peu près ?
Là, on arrive à un petit peu plus de 750.000 euros sur la totalité du projet. C’est, évidemment, un projet qui est très coûteux mais, franchement, ça en vaut la peine. On a commencé cette nouvelle série de projets depuis trois ans maintenant, avec notamment l’espace des lions qui a été fait en 2020 sur pratiquement 2 hectares. Aujourd’hui, l’objectif du parc, c’est de réhabiliter tous ces enclos à carnivores sur des enclos XXL de cette manière. Franchement, quand on a goûté à ça, ce serait dur de faire machine arrière maintenant.
Est-ce que vous avez déjà, peut-être, eu quelques échos depuis l’ouverture de ce nouvel espace ?
Oui, le premier week-end. Les avis sont exceptionnels, même au-delà de ce qu’on pensait. Les gens sont vraiment ravis que le bien-être animal soit autant mis en avant. Puisque c’est évident qu’un espace comme ça, c’est fait pour le bien-être animal. On fait tout ce qu’on peut pour que nos animaux soient le mieux possible.
Comment s’est passé le transfert des ours ?
Ça, c’est toujours délicat. Puisque, forcément, qui dit grands prédateurs, dit anesthésie. Donc, anesthésie générale pour les trois ours. On a commencé le matin à 9h, et à 12h15, le troisième ours arrivait dans sa nouvelle maison, notamment le vieux. On avait des craintes, justement, de rencontrer des difficultés sur son réveil, ça a été assez long mais il est toujours là et ça va bien. Mais, ça a été une opération qui a été très bien menée. On les a laissés dans leur nouvelle maison pendant une semaine, histoire qu’ils s’imprègnent bien des lieux, et puis, surtout qu’ils voient l’extérieur, évidemment, beaucoup de changements pour eux. Depuis le vendredi 25 mars, ils sont à l’extérieur.
Quelle est l’espérance de vie d’un ours ?
Normalement, c’est plus de 30 ans, ça commence déjà à faire des vieux animaux, donc, c’est dire la performance. On a des records qui avoisinent les 40 ans, donc, on espère qu’il va y arriver.
Vous avez aussi un projet de serre tropicale dans un coin de votre tête ?
Oui, ce sera un peu plus tard, ça. On va terminer, déjà, tous les changements pour nos carnivores dans les prochaines années. Effectivement, un projet assez grand, pour ne pas dire très grand, mais pas avant 2027 ou 2028.
Avant ça, il est question pour 2023 d’un espace pour les animaux du continent asiatique ?
Ça va être le changement pour les tigres, surtout. Donc, on continue toujours dans la même série. On réhabilite notre couple de tigres de Sumatra pour 2023 et on enchaînera derrière avec les loups en 2024 et ainsi de suite.
On a vraiment l’impression qu’il y a un palier supplémentaire, qui est franchi pour votre parc animalier ?
Oui, effectivement, on peut dire ça. En fait, je suis parti d’un constat en 2018, c’était de dire, aujourd’hui, on avait un peu plus de 1.000 animaux sur une vingtaine d’hectares. Quelques projets d’extension, quelques possibilités d’extension à utiliser à bon escient, plutôt que de refaire toujours du plus, du plus, du plus… Voilà, on a beaucoup réfléchi, et puis, on s’est dit qu’on avait goûté aux plaines africaines, ça, c’était une marque de fabrique de La Boissière depuis longtemps, sur 3 hectares pour les girafes et 5 hectares pour les rhinocéros.
C’est vrai qu’on entend énormément d’avis favorables sur ces tailles d’enclos. L’idée n’était pas d’avoir 1.500 ou 2.000 animaux 10 ans plus tard. Au contraire, aujourd’hui, on a vraiment un devoir de bien-être animal qui est important. Il faut dire qu’on s’est aussi spécialisés depuis plus de 25 ans maintenant dans la reproduction d’espèces très menacées dans la nature. Qui dit espèces très menacées, dit aussi leur offrir des espaces plus proches de la nature. L’objectif final est de pouvoir, dans un futur plus ou moins lointain, réintroduire des animaux, ou en tout cas, faire du renforcement de population quand c’est possible.
Une partie de l’argent récolté est reversé à une association œuvrant pour la conservation des animaux. C’est 1 euro par billet, c’est ça ?
Exactement. On a mis ça en place depuis cette saison. Donc, c’est assez important puisque, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à 2021, on avait un budget conservation qui était entre 40.000 et 45.000 euros par an. C’est de l’argent qui est reversé à diverses associations. L’idée de reprendre, maintenant, 1 euros par visiteur qui sera reversé directement à la conservation, ça veut tout simplement dire qu’on va plus que tripler notre budget conservation. J’espère qu’on pourra annoncer à la fin de l’année qu’on aura versé entre 120.000 et 140.000 euros pour les associations de conservation, ce qui serait juste énorme.
Pour le confort des visiteurs, il y a aussi ce projet de nouveau parking. Pourquoi ce projet ?
C’est que, jusqu’à maintenant, on n’a pas trop le choix. On a un parking qui est de l’autre côté de la route départementale, donc effectivement, il y a un passage piéton avec toujours un peu de risques. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas eu le choix de trouver mieux. Le projet est d’avoir un parking plus proche, comme par le passé. Aujourd’hui, c’est assez compliqué. C’est un sujet un peu plus particulier qui date depuis longtemps et ce n’est pas toujours simple de réussir à faire comme on veut.
La réouverture des lodges, c’est fait ?
Oui, c’est fait depuis le week-end dernier aussi. La saison est bien démarrée, avec aussi beaucoup d’attentes sur cette saison puisque c’est quelque chose qui plaît beaucoup à La Boissière et qui est aussi une marque de fabrique chez nous. On a été les premiers à faire des lodges face aux rhinocéros ou aux girafes. On a fait les choses un peu cosy, un peu typique, en décoration africaine avec des vues sur les plaines qui sont magnifiques.
À quelques kilomètres, il y a Planète Sauvage, autre parc animalier. Est-ce qu’on peut dire que c’est complémentaire vos différents parcs ? Est-ce qu’il y a une concurrence ?
Non, je dirais que ce n’est pas de la concurrence directe. Puisqu’effectivement, on est complétement différents. Il y a un parc à pied, chez nous, on a entre 4 et 5 heures de visite maintenant, 3,5 kilomètres de visite à travers la nature. Planète Sauvage, on est sur un circuit, essentiellement, en voiture, qui a évidemment son charme et ses spécificités mais qui est vraiment différent de ce qu’on peut faire, aujourd’hui ici, à La Boissière.
Il n’y a pas d’animosité entre vous ?
Non, pas du tout. De toute façon, la famille « parcs animaliers » est une famille qui s’entend très bien, il n’y a aucun problème. On échange régulièrement sur diverses espèces, on participe au même programme d’élevage européen sur plusieurs espèces et on est complémentaires.
Concernant le nombre de visiteurs, ça représente quoi exactement pour votre parc animalier sur l’ensemble d’une année ?
A La Boissière, sur une année normale, c’est-à-dire avant 2020, on était pratiquement, à 150.000 visiteurs par an. J’espère que cette année, on va retrouver ces chiffres, avec une période d’ouverture qui devrait être normale.
Y aura-t-il des recrutements en vue de la saison estivale, notamment ?
Oui, déjà beaucoup de faits. Il en reste plus que quelques-uns à faire pour la partie restauration, notamment. Pratiquement tous les saisonniers sont trouvés et on a la chance d’avoir une très bonne ambiance chez nous. Beaucoup de saisonniers reviennent d’une année sur l’autre.
Vous évoquiez cet ours qui a 37 ans, un âge record pour un tel animal. D’autres animaux atteignent aussi des âges records au sein de votre parc ? On se souvient de cet orang-outan, il y a quelques années, qui avait fêté ses 50 ans, et puis là, il y a une femelle orang-outan qui vient de fêter ses 53 ans.
C’est ça. Manis qui est arrivée en même temps que Major, qui est notre mâle très connu puisque c’était devenu le plus vieux mâle reproducteur du monde, et bien, Manis sa première femme chez nous est toujours là, elle a eu 53 ans le 28 mars et elle est en parfaite santé, c’est incroyable. Je pense qu’elle va battre des records si ça continue. Les femelles, comme chez les humains, vivent un peu plus longtemps que les mâles. Elle le prouve bien, en tout cas, elle est vraiment en parfaite santé, c’est assez incroyable.
Est-ce que c’est un record pour les parcs animaliers français ?
53 ans, on doit y être, oui. Je crois qu’il y a toujours Nénette aussi à La Ménagerie, le zoo du Jardin des Plantes situé à Paris. Elles doivent être dans les mêmes âges. Mais oui, on est sur des âges records.
Est-ce qu’il y a un secret, justement, au sein du parc ? Pourquoi ces animaux atteignent des âges comme celui-ci ?
On va dire qu’on leur apporte toute l’attention qu’on peut leur apporter. En tout cas, les équipes sont des équipes de passionnés. On a énormément travaillé sur l’alimentation depuis des années, donc, tout s’améliore, tout est extrêmement bien quadrillé. En fait, quand on voit un menu, par exemple, des orangs-outans qui mangent six à sept fois par jour, c’est très complexe mais tout est calculé. Aujourd’hui, ça porte ses fruits puisqu’on a des animaux, effectivement, qui arrivent à vieillir en très bonne santé et à atteindre des âges comme ça assez incroyables.
La question du bien-être animal est au cœur des débats aujourd’hui. Est-ce qu’on peut imaginer, un jour, un monde sans parcs animaliers ?
Hélas, ça me paraît difficile. Puisqu’aujourd’hui, sans les parcs animaliers, il y aurait beaucoup d’espèces qui auraient disparu. Je sais que les parcs animaliers ont été énormément critiqués par le passé et certains ont encore une mauvaise image. Evidemment, il y a des bons et des mauvais comme dans toutes les professions, mais la profession a énormément évolué. Aujourd’hui, les efforts qui sont fait en termes de conservations sont énormes. Les parcs animaliers sont le troisième financeur de la conservation au monde. Ce sont des millions et des millions d’euros chaque année. Aujourd’hui, ce sont des acteurs de terrain aussi, donc, non seulement, on travaille dans nos parcs animaliers, mais on travaille aussi sur le terrain.
Pour exemple, nous avons construit une clinique vétérinaire dans la forêt du Nord de Sumatra. Le but de cette clinique est de soigner les animaux qui sont blessés, braconnés ou accidentés, pour pouvoir les soigner et les réintroduire immédiatement dans la forêt. Ça, ce sont des choses, par exemple, qui sont faites par les parcs animaliers aujourd’hui. Ce n’est pas forcément très connu du grand public puisqu’on a, jusqu’à maintenant, peu communiqué là-dessus. Mais, c’est une des missions aussi importantes du parc, pour nous, c’est vraiment bien puisqu’on arrive à atteindre des objectifs dans la nature qu’on ne pouvait pas atteindre il y a 20 ou 30 ans.
Certains défenseurs d’animaux reprochent aux parcs animaliers, basiquement, de détenir des animaux dans des cages, ou estiment que les zoos ne devraient posséder que des espèces très menacées. Que leur répondez-vous?
Nous, on a une mini-ferme qui est faite pour les enfants, c’est aussi un moyen de connecter les enfants à la nature. Aujourd’hui, on a 13.000 enfants qui viennent en période scolaire, par exemple, il faut savoir qu’il y a 85% de ces scolaires qui viennent faire des ateliers pédagogiques, ça va de la maternelle jusqu’au collège. Aujourd’hui, vous devez avoir des animaux qui puissent calquer les programmes scolaires. C’est beaucoup plus facile de faire toucher une chèvre naine ou un cochon d’Inde à un enfant de 3 ans, et lui apprendre les premières choses sur la nature, que de voir un rhinocéros sur une plaine africaine.
Donc, effectivement, on est un petit peu obligé d’avoir des animaux qui ne sont pas forcément menacés dans la nature. D’ailleurs, les animaux de la mini-ferme sont des animaux domestiques. Mais nous, à La Boissière en tout cas, on a aujourd’hui plus de 60% de notre collection d’animaux qui sont très menacés dans la nature et qui sont inscrits sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature.
(Entretien retranscrit par Mikaël Le Gac)
Le zoo de La Boissière-du-Doré est ouvert tous les jours depuis le samedi 26 mars 2022.