Thomas Coville : "J'ai dépassé mon rêve"
5 novembre 2022 à 7h19 par Denis LE BARS
Ancien vainqueur de l'épreuve sur monocoque, Thomas Coville va prendre le départ de sa 7eme Route du Rhum à bord du trimaran géant Sodebo, l'un des huit Ultims.
A 54 ans, celui qui arpentait les pontons du port de Saint-Malo lorsqu'il était enfant s'apprête à prendre le départ d'une nouvelle transatlantique entre la métropole et les Antilles. Son objectif : arriver en vainqueur à Pointe-à-Pitre. Entretien.
Est-ce que ça fait du bien de retrouver l’ambiance d’un port comme ça avec tous les bateaux de course autour, avec le public, de retrouver quasiment l’ambiance de la course ? Parce que ça fait quatre ans maintenant.
Oui, je dois être d’un optimisme amnésique mais j’ai l’impression que c’était déjà loin, d’être isolé, de ne pas voir du monde. J’aurais tendance à garder toujours que le meilleur. Donc, j’avais gardé cette ambiance d’il y a quatre ans et je la retrouve quatre ans après. En revanche, j’ai l’impression d’avoir changé et d’avoir encore plus envie de vivre ça.
En quoi vous avez changé ?
Je pense que j’ai cette réputation de rêver grand, de rêver large, de rêver fort. Je m’aperçois qu’en quatre ans, je ne suis pas le même marin et je n’aurais jamais imaginé être le marin que je suis aujourd’hui. Je n’aurais jamais imaginé d’être avec un bateau comme le trimaran Sodebo et d’être capable de voler au-dessus de l’eau aussi vite. J’ai dépassé mon rêve.
En quatre ans, les bateaux ont considérablement évolué, y compris les Ultimes ?
Oui. C’est même, je pense, une des catégories qui a le plus évolué, alors qu’on les pensait déjà à la limite de l’exploitation de l’homme, à la limite de la technologie, à la limite de ce qu’on pouvait concevoir et construire. En fait, pas du tout, on a encore dépassé cette logique. Voler il y a quatre ans, c’était dans les cartons mais c’était imaginaire. Voler stable en solitaire et sur de nombreux jours, c’est aujourd’hui une réalité. C’est là où on s’aperçoit qu’il y a un écosystème autour de nos bateaux, que ça soit les bureaux d’études, que ça soit les chantiers ou que ça soit même les marins. Ça bouge, ça change, ça évolue… On a une vraie nouvelle génération qui arrive dans nos bureaux d’études et, donc, j’ai envie de continuer à dire que ça peut être mieux aussi.
Comparativement à d’autres sports mécaniques, c’est vraiment l’un des domaines où cette activité-là a le plus évolué au cours de ces dernières années ?
Pour vous donner un chiffre, le bateau avec lequel j’étais il y a quatre ans, aujourd’hui avec Sodebo, on va dix nœuds plus vite, 25% plus vite. C’est colossal ! Je n’aurais pas imaginé, il y a quatre ans, pouvoir tenir ce discours. Et je ne pense pas avoir mal travaillé il y a quatre ans, c’est juste que l’époque le permet. On apprend très vite, on évolue très vite, on s’autorise d’aller plus loin ou de rêver fort. Je crois que c’est ça aussi que viennent voir les gens quand ils se promènent là autour du bassin Vauban et qu’ils regardent ces bateaux. Il y a 138 marins qui sont là avec des sillages différents et qui croient que c’est possible de rêver. Il y en a 138, en tous les cas, qui ont défié le fait de rêver et de le faire.
Ça veut dire qu’avec les Ultimes, cette année, si les conditions météorologiques sont favorables, on peut carrément pulvériser le record de la traversée de l’Atlantique ?
Oui, si les conditions sont favorables, les chiffres vont s’affoler et vont tomber, ça c’est sûr. Mais ça reste une course, l’idée c’est d’arriver le premier, pas forcément de faire le meilleur temps.
Un homme seul sur un bateau comme ça, est-ce que c’est si maniable que ça pour un seul homme ?
Oui, vraiment. Mais on ne commence pas par un Ultime tout de suite, évidemment, on ne commence pas tout de suite par un trimaran, on ne commence pas tout de suite par un bateau comme Sodebo qui est très grand. Même moi, quand j’arrive à bord, je me dis toujours que c’est grand. Aujourd’hui, notre travail aussi, c’est de rendre la chose possible, c’est de rendre la chose de plus en plus possible. Je suis moins angoissé aujourd’hui que je ne l’étais auparavant. Je me sens beaucoup plus serein aujourd’hui que je ne l’étais en 2002, par exemple, ça c’est sûr.
Est-ce que votre bateau peut également voler quand vous dormez ?
Oui, bien sûr. C’est ça que l’époque raconte aussi, plus c’est technique, plus ça vous paraît grand. La performance, aujourd’hui, elle va se chercher dans le détail technique mais elle va surtout se chercher dans ce que vous aurez préparé mentalement pour arriver prêt le jour J dans un état d’esprit d’être capable de gagner, mais aussi après sur l’eau, d’avoir cette gestion mentale de vos émotions qui vont générer ensuite une sensation et qui vont vous faire faire un mouvement. Le triptyque de l’athlète c’est ça, c’est : émotion, sensation, mouvement.
Quel est votre objectif sur cette course, on imagine que c’est de la gagner ?
Oui, c’est de gagner cette course, d’être en compétition contre les autres bateaux qui sont capables de la gagner et de gérer au mieux ce qu’est cette course à chaque fois. C’est-à-dire cette capacité à s’adapter, cette capacité à se régénérer pendant la course, garder l’envie et ne pas se laisser prendre par ses émotions, par un capteur qui ne marche pas ou que le projet qui était prévu au départ ne se réalise pas exactement comme on le voulait… Mais là, encore une fois, c’est mental. Je pense que le fait de l’avoir fait plusieurs fois, de l’avoir gagné et de l’avoir perdu, je suis dans cet état d’esprit-là aujourd’hui. Et surtout je suis le marin que je voulais être aujourd’hui. Ça, pour moi, c’est le plus important pour arriver à gagner.
(entretien retranscrit par M. Le Gac)